En Australie, les législateurs alliés étudient des réponses communes aux défis de sécurité mondiaux

24 novembre 2023

Face à la complexité de l’environnement sécuritaire actuel, les pays membres de l’OTAN œuvrent activement à travers le monde avec les pays partenaires qui partagent leurs propres valeurs sur les questions de sécurité transversales. Avec le resserrement des liens entre la Chine et la Russie de Vladimir Poutine, la montée en puissance des moyens militaires chinois, la posture révisionniste adoptée par Pékin vis à vis des structures mondiales économiques et de sécurité et sa volonté affichée d’utiliser ces moyens d’action pour renverser l’ordre international fondé sur des règles, la région Indo Pacifique se révèle en effet particulièrement préoccupante.

De ce fait, collaborer de manière étroite avec ces pays partenaires est devenu crucial aux yeux des gouvernements alliés. Les parlementaires de la communauté transatlantique se doivent, par conséquent, d’approfondir le dialogue avec leurs homologues des sociétés démocratiques asiatiques qui sont eux aussi attachés à un ordre international fondé sur des règles. Et c’est donc dans ce contexte qu’une délégation de 28 législateurs issus de 12 pays membres de l’OTAN, représentant deux sous commissions de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN), s’est rendue en Australie du 13 au 17 novembre 2023.

Cette délégation était emmenée par John Spellar (Royaume-Uni), président de la sous-commission sur les relations économiques transatlantiques, et Marcos Perestrello de Vasconcelos (Portugal), président de la sous-commission sur les partenariats de l’OTAN. À l’occasion de ce programme d’une semaine, la délégation a pu étudier en profondeur les enjeux précités en rencontrant des dirigeants du parlement australien et des membres de deux commissions parlementaires, des hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères et du ministère de la défense, des ambassadeurs des pays membres de l’OTAN basés à Canberra, des représentants de l’industrie de la défense ainsi que des experts exerçant dans les plus grands instituts de recherche du pays.

Perspectives australiennes sur le défi chinois

La délégation a été informée qu’au cours des dix dernières années, les relations entre l’Australie et la Chine ont été marquées par de profondes transformations. Si les deux pays ont longtemps entretenu d’étroites relations commerciales mutuellement bénéfiques, la décision prise par le gouvernement australien en 2016 de bloquer le déploiement du réseau 5G par le géant des télécommunications chinois Huawei pour des raisons de sécurité a marqué le début d’un important refroidissement. La relation s’est dégradée en 2020 lorsque Canberra a demandé la tenue d’une enquête internationale sur les origines de la pandémie de Covid-19. La Chine a rétorqué par la mise en place d’une politique de coercion, imposant des droits de douane exceptionnellement élevés sur une gamme de produits d’exportation australiens, à laquelle se sont ajoutées une campagne concertée de cyberattaques et de désinformation ainsi qu’une posture militaire de plus en plus provocatrice dans les eaux où patrouillent les navires australiens.

Malgré un effet limité sur l’économie australienne, ces mesures ont profondément impacté la façon dont la Chine est perçue en Australie et la menace qu’elle représente pour la stabilité régionale, selon Dirk van der Kley, chargé de recherche au Collège de sécurité nationale. Les représentants australiens ont rapidement compris que face à l’évolution rapide de la situation, il allait falloir fournir un effort global pour renforcer la résilience nationale, réduire l’exposition à l’économie chinoise dans certains secteurs stratégiques, faire en sorte que le positionnement du pays lui permette de résister à la coercition économique et militaire, et approfondir la collaboration avec des partenaires proches dans la région, dont beaucoup subissent ou ont déjà subi de telles pressions.

Défense et dissuasion : l’approche australienne

Le gouvernement a dès lors engagé un examen stratégique global de défense (Defense Strategic Review, SDR) visant à définir les mesures qui permettraient de structurer les forces militaires australiennes de façon à pouvoir réaliser de tels objectifs. Cet examen est parvenu aux conclusions suivantes : l’Australie doit renforcer de manière considérable ses capacités maritimes, étendre la portée de ses moyens navals et de ses autres moyens militaires, développer des capacités de frappe à plus longue portée, renforcer ses capacités défensives et offensives dans le domaine cyber, et améliorer la dissuasion dans son ensemble.

L’Australie est également plus souvent amenée à défendre les lignes de communication stratégiques face à une Chine de plus en plus forte et de plus en plus révisionniste. Pour un pays commercial isolé géographiquement comme l’Australie, cela s’avère indispensable pour conserver sa souveraineté décisionnelle et rester un acteur économique à part entière sur l’échelle régionale et mondiale. Qui plus est, Hugh Jeffrey, secrétaire adjoint chargé de la stratégie, la politique et l’industrie au ministère australien de la défense, a informé la délégation que le SDR affichait aussi l’ambition d’améliorer la capacité de l’armée australienne à collaborer avec ses alliés et ses partenaires dans la région et au-delà.

Les États-Unis, qui jouent un rôle fondamental dans la sécurité du Pacifique, restent le premier allié de l’Australie. À cela s’ajoute le partenariat trilatéral AUKUS pour l’Indo-Pacifique entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, lequel joue un rôle moteur pour le développement des capacités essentielles de l’Australie, y compris l’acquisition de nouveaux sous-marins nucléaires. Le partenariat prévoit également d’approfondir la collaboration sur d’autres questions, comme la cybersécurité, l’intelligence artificielle et l’autonomie, la guerre électronique, les technologies quantiques, l’hypersonique et l’anti-hypersonique, l’innovation et le partage d’informations.

L’Australie et la communauté euro-atlantique

Bien que l’attention de l’Australie soit principalement tournée vers les enjeux de sécurité dans l’Indo Pacifique, elle reconnaît que les évènements qui surviennent dans l’espace transatlantique ont des répercussions dans toute la région. Elle voit un parallèle entre la Russie, qui poursuit son ambition de redessiner les frontières européennes en menant la guerre en Ukraine, et la Chine, qui se prépare à résoudre ses revendications sur Taïwan en employant des moyens militaires. Les représentants australiens soutiennent fortement les efforts entrepris par l’Ukraine pour défendre son territoire et sa souveraineté, ainsi que ceux entrepris par les Alliés pour fournir une assistance militaire, économique et humanitaire vitale à Kyiv. En effet, l’Australie est le neuvième plus grand contributeur, et le premier hors zone euro-atlantique, du fonds d’affectation spéciale OTAN-Ukraine. Le gouvernement comme le parlement partagent l’avis qu’une victoire de la Russie dans ce conflit serait un coup dur pour le règne du droit international.
 

Bien que l’OTAN elle-même ne soit pas activement engagée dans la sécurité du Pacifique, les déclarations des sommets de Madrid et de Vilnius ouvrent la porte à de nombreuses possibilités de coopération pratique entre l’Alliance et la région. C’est une question qui a d’ailleurs été abordée à plusieurs reprise lors des rencontres. Le partenariat en lui-même repose sur un engagement commun pour le respect du droit international et l’ordre fondé sur des règles. La coopération entre l’Australie et l’OTAN est régie par un programme de partenariat individualisé qui englobe de nombreux domaines, comme la maîtrise des armements, les menaces hybrides ou encore la cyberdéfense. Les hauts fonctionnaires australiens ont informé la délégation qu’ils avaient constaté une hausse considérable des campagnes de désinformation chinoises ciblant l’OTAN et l’alliance AUKUS au cours de ces dernières années.

Le gouvernement australien reconnaît que, par nature, l’OTAN doit se consacrer aux défis menaçant la sécurité de l’espace transatlantique. Selon l’un des intervenants, la plus grande contribution que l’Europe puisse apporter à la sécurité de l’Indo-Pacifique serait d’augmenter ses dépenses de défense et de renforcer ses capacités afin de sécuriser le continent européen. En effet, un tel développement permettrait aux États-Unis de disposer d’une plus grande souplesse et donc de déployer des moyens plus importants sur le théâtre du Pacifique, où ils restent un acteur majeur de stabilité.

Les deux régions entretiennent également des relations économiques. Plusieurs intervenants se sont montrés déçus de l’interruption des négociations portant sur la création d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie. Selon eux, des considérations politiques l’ont emporté sur la facilitation d’échanges commerciaux qui auraient été profitables à toutes les parties. Il ne fait aucun doute que l’UE pourrait se montrer plus active dans la région, non seulement en tant que partenaire commercial, mais aussi par sa qualité de régulateur de marchés influent et très compétent. L’un des intervenants est allé jusqu’à suggérer la possibilité que l’UE intègre l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), qui vient dans les faits contrebalancer l’influence commerciale de la Chine dans la région.

Les priorités régionales de l’Australie

Les échanges ont également porté sur la politique régionale de l’Australie. Les îles du Pacifique Sud constituent un espace de plus en plus contesté dans lequel la Chine tente activement d’exercer son influence et son ascendance. L’Australie y voit une tentative chinoise de limiter sa propre influence et la portée de ses forces navales. Elle est par conséquent déterminée à proposer à la région une alternative fondée sur des principes mutuellement bénéfiques et des normes internationales reconnues.

Il se trouve qu’alors que la délégation se trouvait à Canberra, le gouvernement du premier ministre Albanese et l’État insulaire de Tuvalu ont annoncé la signature d’un pacte de sécurité qui engage l’Australie à fournir à ces îles stratégiques une assistance en matière de sécurité en échange d’un accord migratoire pour les citoyens du pays souhaitant immigrer en Australie. Pour un pays fortement menacé par le changement climatique et la montée des eaux, cela représente ici une opportunité de taille. Cet accord s’inscrit dans la démarche de diplomatie douce dans laquelle s’est engagé Canberra dans cette région à haute importance stratégique. Avec le soutien du parlement, le gouvernement entend à la fois encourager la coopération et offrir des garanties diplomatiques et de sécurité fondées sur les normes internationales reconnues et sur de longues relations historiques et culturelles. 

Les Australiens, en revanche, ont été très déçus par la signature d’un accord entre la Chine et les îles Salomon prévoyant la formation des forces de police de l’État insulaire par la Chine – un rôle autrefois endossé par l’Australie. Le gouvernement Albanese a toutefois reconnu qu’il devait être plus actif dans la région pour être en mesure d’offrir une alternative à la diplomatie souvent musclée de la Chine.

Les dirigeants australiens se sont particulièrement réjouis de la décision prise récemment par les Philippines de revenir en arrière sur l’étroite coopération de sécurité avec la Chine, une décision chaleureusement accueillie à Washington comme à Tokyo. Ce que les Philippines considérait à l’origine comme une simple coopération s’est avéré un effort non dissimulé, de la part de la Chine, de renverser la souveraineté et le contrôle du pays sur plusieurs îles et voies maritimes stratégiques. Pékin pensait simplement que le gouvernement Marcos suivrait le chemin tracé par le gouvernement Duterte avant lui. D’après plusieurs intervenants, Pékin ne s’est pas rendu compte que son comportement agressif a peu à peu entraîné l’aliénation de Manille et d’autres gouvernements dans le Pacifique Sud. Vu de Canberra, penser qu’il est possible d’apaiser la Chine est un leurre. De l’expérience australienne, chaque concession engendre systématiquement de nouvelles exigences. La nouvelle approche du pays vis-à-vis de la Chine repose sur cette idée. De nombreux intervenants ont expliqué à la délégation que tout retour au statu quo ante était inenvisageable, même si les relations commerciales et diplomatiques avec la Chine restaient importantes.

Cette première visite d’une délégation de l’AP-OTAN en Australie depuis 2008 s’inscrit dans le cadre du renforcement du dialogue parlementaire entre l’Assemblée et les pays partenaires dans la région Indo Pacifique. L’Australie possède le statut d’observateur parlementaire à l’Assemblée, et les législateurs australiens participent de manière régulière aux sessions annuelles de l’AP-OTAN.


Liste (non exhaustive) des intervenants rencontrés lors des visites :
Dirigeants du parlement

  • Sue LINES, sénatrice, présidente du sénat
  • Shayne NEUMANN, député, président de la commission conjointe permanente des affaires étrangères, de la défense et du commerce (avec d’autres membres de la commission)
  • David FAWCETT, sénateur, vice-président
  • Peter KHALIL, député, président de la commission parlementaire mixte sur le renseignement et la sécurité (avec d’autres membres de la commission)
  • Andrew WALLACE, député, vice-président

Hauts fonctionnaires

  • Hugh JEFFREY, secrétaire adjoint, stratégie, politique et industrie, ministère de la défense
  • Elly LAWSON, secrétaire adjointe, groupe de planification stratégique et de coordination, ministère des affaires étrangères et du commerce
  • Ambassadeurs et diplomates
  • S.E. Mme Betty PAVELICH, ambassadrice de Croatie en Australie
  • S.E. Mme Victoria Marguerite TREADELL, CMG MVO, haute-commissaire du Royaume-Uni en Australie 
  • S.E. M. Jean-Pierre THÉBAULT, ambassadeur de France en Australie
  • S.E. Mme Kersti EESMAA, ambassadrice d’Estonie en Australie
  • S.E. Mme Ardi STOIOS-BRAKEN, ambassadrice des Pays-Bas en Australie
  • Erika OLSON, cheffe adjointe de mission, ambassade des États-Unis en Australie

Experts de l’Institut australien de politique stratégique (ASPI), du collège de sécurité nationale (NSC) de l’université nationale australienne (ANU) et de l’Institut Lowy
À Canberra, la délégation a eu l’opportunité de visiter le Mémorial national australien de la guerre, où elle a rencontré son directeur Matt ANDERSON et assisté à la cérémonie de la Dernière sonnerie. À Sidney, la délégation a pu visiter la base navale Est, où les membres ont écouté l’exposé du commodore Michael HARRIS, OAM, directeur général des opérations maritimes (DGMAROPS), et où ils ont visité le HMAS Sydney. La délégation a également bénéficié sur site d’une présentation de Thales Australia, première entreprise de défense du pays.


Photos
© Australian War Memorial
© Australian Government Department of Defence

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