Stabilité en Arctique : les effets considérables de la guerre en Ukraine et du changement climatique

23 septembre 2022

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Le changement climatique et les répercussions de la guerre russe en Ukraine ont suscité l’attention de la communauté internationale à l’égard de l’Arctique. Une délégation conjointe, composée de membres de la commission de la défense et de la sécurité (DSC) et de la commission sur la démocratie et la sécurité (CDS) de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, s’est ainsi rendue à Copenhague et à Nuuk du 12 au 15 septembre en vue de faire le point sur ces changements géopolitiques et climatiques et d’évaluer leurs répercussions sur le Royaume du Danemark. La délégation, sous la direction de la sénatrice canadienne Jane Cordy, comptait 18 députés parlementaires représentant 11 États membres de l’OTAN.

Tout le monde s'accorde à reconnaître l'urgence causée par le changement climatique à l'échelle mondiale. Malheureusement, ses répercussions sont d’autant plus fortes dans l’Arctique. En effet, d’après plusieurs représentants du Danmarks Meteorologiske Institut (Institut danois de météorologie), l’Arctique se réchauffe quatre fois plus rapidement que le reste de la planète, et la région devrait devenir « encore plus chaude et plus humide ». La hausse rapide des températures et l’augmentation des précipitations impliquent une diminution de la formation des glaces et des chutes de neige, une augmentation du débit des cours d’eau, un dégel du pergélisol et l’érosion des côtes.

Néanmoins, les grands bouleversements environnementaux ne sont pas les seuls changements perçus en Arctique. Les tensions géopolitiques mondiales s’y font également sentir, en particulier depuis l’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. La guerre menée par le Kremlin en Ukraine se répercute directement sur la coopération au sein de l’Arctique, comme en témoigne la décision prise en réponse le 3 mars 2022 par sept des huit États membres du Conseil de l’Arctique d’y suspendre leur participation. Le caractère solide de la coopération entre les huit États arctiques distinguait la région depuis la fin de la guerre froide, comme le rappelle la maxime « Grand Nord, basses tensions ». 

L’Arctique constitue un point central de la politique étrangère danoise. Le Groenland et les îles Féroé font partie du Royaume du Danemark. Ils jouissent certes d’une grande autonomie, mais la responsabilité de leur politique étrangère, de défense et de sécurité incombe toujours au Royaume. Les parties prenantes présentes à Copenhague et à Nuuk ont clairement fait part d’une même volonté d’élaborer une politique commune dans l’Arctique, qui garantit non seulement leurs intérêts respectifs, mais tient aussi compte des conséquences du changement climatique dans la région et de l’intérêt mondial croissant dans le développement de celle-ci. À ce titre, l’un des représentants a souligné à quel point il était essentiel à leurs yeux « de tirer profit des intérêts commerciaux grandissants dans la région afin de [s’] assurer qu’ils s’align[ai]ent sur le bien-être des habitants tout en respectant la nature et l’environnement ».

Cependant, il a été expliqué à la délégation en visite que les possibilités de coopérer et de collaborer avec l’Arctique sont de plus en plus restreintes. « La guerre menée par la Russie en Ukraine fait souffler un vent d’incertitude et d’imprévisibilité dans l’Arctique et, bien qu’il soit trop tôt pour se prononcer sur son issue, elle suscite incontestablement l’attention des États arctiques comme celle des États non-arctiques au plus haut niveau », a déclaré Jesper Møller, directeur politique du ministère danois des affaires étrangères. 

À Copenhague, les représentants ont fait savoir que l’invasion de l’Ukraine par la Russie avait polarisé l’attention des États arctiques sur la région pour diverses raisons. Étant donné que les obstacles se multiplient pour la Russie sur sa route commerciale vers l’ouest, le pays accorde une importance plus grande à la viabilité de la Route maritime du Nord en tant que soupape de sûreté pour ses activités commerciales avec l’Asie. Toutefois, les sept autres États arctiques sont soit des pays de l’OTAN soit sur le point de le devenir, et leur principale préoccupation concerne le maintien non seulement des voies maritimes transatlantiques de communication, mais aussi de la liberté de navigation dans les eaux arctiques de plus en plus libres. Le concept stratégique 2022 récemment publié par l’OTAN appuie d’ailleurs cette position.

Cela étant, l’intérêt grandissant porté par la Chine à l’égard de cette région – en raison de la richesse et de l’étendue de ses ressources naturelles ainsi que de ses voies maritimes commerciales plus courtes – vient s’ajouter aux enjeux énumérés ci-dessus. La délégation a été informée du fait que si la présence de la Chine dans la région est principalement d’ordre scientifique et économique pour le moment, il est probable que le pays y établisse plus tard une présence militaire à des fins stratégiques.

Si les experts ont affirmé à la délégation en visite que la Chine ne montrait  actuellement aucun intérêt d’ordre militaire dans la région, les efforts récemment entrepris par la Russie dans le but d’accroître ses capacités militaires à travers l’Arctique ont, à l’inverse, été considérables. En effet, Moscou y a réactivé ou établi plus d’une cinquantaine de nouvelles bases et installations. Bien que les nouveaux investissements réalisés dans l’Arctique aient été majoritairement de nature défensive, ces dernières années ont vu le Kremlin déployer des systèmes aériens et de missiles avancés dans la région, élargissant considérablement le périmètre d’action des forces russes. Dans la stratégie pour l’Arctique élaborée par la Russie en 2020, il est manifeste que Moscou vise à exercer une influence économique et politique notable dans la région. 

Pour les Alliés, la militarisation accrue de l’Arctique couplée à la baisse de mécanismes de dialogue constitue un dilemme grandissant sur le plan de la sécurité. Ce faisant, les pays arctiques de l’OTAN ont annoncé de nouvelles stratégies pour la région au cours des dernières années. De plus, ils ont renforcé leurs activités de patrouille et ont intensifié leurs exercices militaires dans le Grand Nord, tout en augmentant les investissements dans leurs propres moyens pour améliorer leur connaissance situationnelle à travers la région.

À l’instar des autres États membres de l’OTAN, le Danemark porte actuellement davantage son attention sur l’Arctique. Les représentants danois ont fait savoir à la délégation de l’AP OTAN que le gouvernement s’est récemment engagé - en accord avec les autorités groenlandaises et féroïennes  , à renforcer ses moyens dans l’Arctique afin d’avoir une vision plus précise des activités menées à travers l’immense zone de l’Arctique sous la responsabilité du Royaume du Danemark. L’accord se traduira par le versement d’environ 250 millions de dollars américains dans le but d’investir dans des drones à longue portée, des installations de radar et des systèmes de surveillance par satellite. Dans le cadre de cette entente, les autorités du Danemark, des îles Féroé et du Groenland ont mis en avant la responsabilité particulière qui leur incombe sur le plan de la défense et de la sécurité dans l’Arctique et l’Atlantique Nord. 

Les représentants du ministère groenlandais des affaires étrangères ont souligné l’importance des capacités d’investissement dans l’Arctique, tout en appuyant leur compréhension de la nature à double usage de l’investissement susmentionné, qui bénéficiera au Groenland au-delà de la sécurité renforcée. Ils ont également mis en exergue le dialogue et les liens de coopération entretenus avec les États-Unis et d’autres Alliés pour parvenir à l’accord du Royaume du Danemark. « Le Groenland fait partie de l’OTAN », a déclaré l’un des représentants. Et d’ajouter que « le Groenland cultive une relation particulière avec les États-Unis, et la Russie le sait bien. Bien qu’il n’y ait pas de réelle menace de guerre dans l’Arctique, la région devient malheureusement de plus en plus le reflet des politiques de sécurité du monde entier ».

D’après les représentants groenlandais, cette situation pousse le gouvernement du Groenland à militer pour avoir davantage voix au chapitre « sécurité » à la table des négociations avec le Danemark. Ainsi, le Groenland est parvenu à faire entrer l’un de ses représentants au sein de la délégation permanente danoise auprès de l’OTAN, à Bruxelles. De plus, le Groenland s’est publiquement opposé à l’agression russe en Ukraine et, même s’il ne fait pas partie de l’UE, le pays coopère avec le Danemark pour appliquer les sanctions européennes à l’encontre du Kremlin. « C’est une première pour le Groenland [...] Nous ne prenons généralement pas position sur les conflits internationaux, mais l’agression brutale de la Russie a provoqué une condamnation sans précédent ici, et la lutte menée par l’Ukraine pour conserver sa souveraineté et son indépendance ont suscité un élan de solidarité considérable », a indiqué un représentant du ministère groenlandais des affaires étrangères. 
La visite de la délégation conjointe au Danemark et au Groenland était organisée par le Parlement danois à Copenhague et le Naalakkersuisut (gouvernement du Groenland) à Nuuk. 

Durant cette visite de quatre jours, la délégation a rencontré des hauts représentants gouvernementaux et parlementaires, des experts de l’Institut météorologique danois ainsi que de représentants des universités de Copenhague et du Groenland. Parmi les sujets à l’ordre de jour figuraient :

  • Les priorités politiques danoises sur le plan des affaires étrangères et de la sécurité, et les défis ;
  • Les évolutions en matière de sécurité et de politique dans l’Arctique à la suite de l’invasion russe en Ukraine ;
  • Les intérêts économiques, politiques et en matière de sécurité du Groenland ;
  • Les répercussions du changement climatique sur l’Arctique.

La délégation s’est également rendue au Joint Arctic Command (JACO) à Nuuk. La mission principale du JACO en temps de paix consiste à garantir la souveraineté du Royaume du Danemark, notamment en surveillant la zone entre le Groenland et les îles Féroé. Cette immense sphère de responsabilité nécessite notamment d’œuvrer à la sécurité des voies maritimes de communication de l’OTAN à travers l’Atlantique Nord en surveillant les détroits GIUK (Groenland, Islande, Royaume-Uni). En outre, le JACO procède à des opérations de recherche et de sauvetage, surveille la pollution, contribue aux efforts de recherches scientifiques, contrôle les activités de pêche et offre son soutien aux services de police. 
 

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