2022 - RAPPORT GÉNÉRAL- LUTTE CONTRE LA CORRUPTION : LES ENJEUX STRATÉGIQUES ET ÉCONOMIQUES

Harriett BALDWIN (Royaume-Uni)

17 janvier 2023

La corruption fragilise des institutions nationales essentielles pour gouverner les États, met en péril la stabilité nationale et accentue les inégalités dans le monde. Elle opère à la faveur des réseaux terroristes et criminels en permettant d’en financer les opérations et en affaiblissant l'autorité des États auxquels ils s’opposent. Elle tisse également des liens entre élites politiques et groupes criminels organisés − dont certains peuvent être proches de groupes terroristes actifs sur les marchés de la drogue, des armes ou encore de la traite des êtres humains. La corruption affaiblit les sociétés en freinant tout potentiel économique. Il s’agit, presque par définition, d’une allocation biaisée des ressources privées et publiques. Il reste toutefois difficile d’en mesurer le coût. En effet, comment chiffrer des investissements jamais réalisés en raison d’une corruption omniprésente, qui fait augmenter les primes de risques et anéantit tout retour sur investissement ? Qui plus est,la corruption rend la régulation du marché incohérente et fastidieuse pour l’État. Elle en étrangle les finances en rendant quasiment impossible le calcul et la perception équitables d’impôts. Elle récompense insidieusement des personnes qui, bien que dénuées de talent, ont les bonnes relations et pénalise les acteurs de la société plus compétents, productifs et intègres, qui se retrouvent privés d’opportunités en raison de canaux d’influence biaisés par la vénalité. Les systèmes financiers nationaux, inondés par ces revenus illégalement générés, s’en trouvent fragilisés. L’érosion des opportunités économiques devient un phénomène qui s’enracine profondément et fait tache d’huile.

La corruption met également à mal la gouvernance démocratique, l’intégrité électorale et la participation de la société civile à la vie politique. S’il est particulièrement problématique dans les pays peu démocratiques, comme l’Afghanistan, ce fléau menace aussi les démocraties plus fortes. Par exemple, Freedom House classe la corruption, tout comme les mouvements politiques antilibéraux toujours plus puissants, la subversion électorale et la rupture de l’État de droit, parmi les principales causes du recul de la démocratie dans le monde. Dès que la corruption est institutionnalisée, elle devient un moyen, pour les initiés des partis au pouvoir et des élites, de consolider leur mainmise sur l’État et sur le processus électoral lui même. La captation de l’État survient lorsque des élites, détenteurs ou non du pouvoir, disposant des relations adéquates se servent de la corruption pour modeler les politiques et les lois nationales à leur avantage. Cela permet aux personnes corrompues de maintenir leur emprise et de s’enrichir illégalement auprès de l’État, tout en échappant aux conséquences juridiques de ces malversations. 

La Russie illustre parfaitement ce phénomène. Ses dirigeants, pour beaucoup issus des milieux du renseignement, se sont appropriés des biens publics et privés, qu’ils ont utilisés pour s’enrichir personnellement, maintenir leur influence sur le pouvoir et promouvoir leurs intérêts personnels à travers le monde. En Russie, la corruption a considérablement entravé l’émergence d’un secteur privé prospère et d’une société civile indépendante et dynamique. Il s'agit aussi d'un problème pour lequel il n’existe pas de solution militaire. En effet, si la guerre est généralement perçue comme un catalyseur de corruption, la corruption, elle, peut servir à la fois d’instrument et de catalyseur de guerre. En un mot, ignorer la corruption fait courir au désastre.

Qui plus est, la Russie a mis cet instrument puissant – dont elle connaît la capacité à fragiliser les fondements institutionnels et sociétaux de l’État – au service de la guerre hybride et de la politique de sécurité nationale. L'appareil de sécurité russe utilise la corruption, non seulement pour se faire obéir, mais aussi pour réduire à la faiblesse et à la servilité, et subvertir la démocratie à l’échelle mondiale.

Le Kremlin a élevé l’usage qu’il fait de la corruption au rang de méthode de gouvernance. Il déploie son contrôle sur d’importantes industries pétrolières et gazières et multiplie les pratiques de corruption de sorte à créer des dépendances politiques et économiques en semant la méfiance et la confusion, et en suscitant la faiblesse. Sous Vladimir Poutine, le Kremlin a utilisé cet instrument non seulement dans des pays comme l’Ukraine, mais également dans une bonne partie des Balkans occidentaux et dans certains pays occidentaux. 

La Chine comme la Russie se sont servies de grands projets d'investissement pour saper la résilience démocratique, susciter la dépendance et affaiblir la capacité des sociétés bénéficiaires à contrecarrer les projets de ces concurrents autoritaires. 
Corrompre les décideurs chargés de signer de grands contrats d'infrastructure crée des vulnérabilités et fournit à ces États autoritaires des « marionnettes » prêtes à exécuter les ordres, à la fois parce qu’elles ont été payées pour le faire et parce qu’elles sont vulnérables au chantage, ou pire encore.

C’est pour ces raisons notamment que la question de savoir comment réduire les complicités intentionnelles et fortuites en matière de corruption, surtout lorsque celles-ci représentent une menace stratégique, s’est retrouvée au centre de l’agenda international. Alors qu’ils continuent d’évaluer les leçons à tirer de la corruption en Afghanistan, les pays alliés ont dû réfléchir plus systématiquement et sérieusement à la manière dont elle façonne le paysage de la sécurité et aux actions à entreprendre pour en tenir compte et s’efforcer de la limiter. L’imposition de sanctions globales contre la Russie dans le sillage de son invasion de l’Ukraine marque un changement radical non seulement dans les relations internationales, mais aussi dans la manière dont les gouvernements des pays alliés comptent aborder le problème de la corruption internationale et de ses conséquences sur la sécurité. 

Au sein de l’OTAN, des progrès considérables ont été réalisés pour contrecarrer les recettes issues de la corruption depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022. La crise russo ukrainienne va vraisemblablement accélérer le mouvement sur toutes ces questions, en premier lieu, eu égard à la Russie mais aussi, in fine, de façon beaucoup plus générale. 
 


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